1477 | Extraict d’un vieu livre

Du XVe au XXe siècle, plusieurs auteurs se sont succédé pour écrire ou compléter le Livre de raison de la famille Séjournet. Léo Verriest, archiviste de la Ville d’Ath, étudia le manuscrit de 40 pages et publia en 1943 une étude intitulée « Un Livre de raison des SEJOURNET, notable lignée féodale du Pays d’Ath », laquelle parut dans les Annales du Cercle archéologique du canton de Soignies, tome IX.

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Première page du « Livre de raison ancien des Séjournet »
coll. famille de Séjournet

Dans son introduction l’historien écrit : « Occupé à reprendre sur de nouvelles bases, à compléter et préciser l’histoire d’une petite ville hennuyère, Ath, dont le passé fut remarquable à bien des égards, j’ai été amené, tout naturellement, à m’intéresser à l’histoire des familles de cette ville, de celles notamment qui ont joué un rôle marquant dans la vie locale et régionale, soit qu’elles y aient constitué le ‘monde des affaires’ et tenu ainsi une place en vue dans la vie économique, soit qu’elles aient pu exercer une influence par le trucheman de fonctions publiques (…). Les archives du pays d’Ath recèlent bien des exemples de ces ascensions sociales (…) ; c’est le cas de la famille Séjournet, que concerne le ‘livre de raison’ publié ici-après. Appeler ce document ‘livre de raison’ n’est d’ailleurs pas tout-à-fait exact, car on n’y trouve rien qui concerne les biens de la famille dont il s’agit, mais seulement une sorte d’histoire généalogique, produit de notes successivement accumulées par des générations, depuis le XVe siècle jusqu’au début du XVIIIe ».

« Les Séjournet, notable famille médiévale, ont retenu mon attention depuis que j’ai pu utiliser à loisir – les précieuses archives de la ville du célèbre Goliath ; analysant et dépouillant complètement les ‘chirographes’ de ce dépôt, c’est-à-dire les actes privés d’échevinages remontant à 1400, ainsi qu’une partie de la documentation de la 2ème moitié du XIVe siècle relative au pays d’Ath, je rencontrais à tout moment des représentants de marque de cette famille. Je ne pouvais donc manquer de m’informer de tout ce qui la concernait ».

« Tel qu’il se présente à nous, le manuscrit du ‘Livre de raison’ paraît bien être constitué de trois parties successives. L’une, qui concerne l’extrême fin du XIVe siècle, le XVe et le début du XVIe semble avoir eu pour dernier co-auteur, sinon même comme premier rassembleur de renseignements généalogiques, Joachim Séjournet (…). Dans le § relatif au baptême du 16ème et dernier enfant de celui-ci (Collinet Séjournes) il est dit, en effet, que Isabeau Séjournet, soeur du nouveau né, fut l’une des marraines ; or, le texte porte ‘Isabeau S., ma fille’. Joachim est mort le 24 mai 1527. On peut donc admettre comme étant de lui (seul ou non) les éléments généalogiques antérieurs à cette date ».

« La 2e partie du livre, moins soignée que la première et où manquent certaines dates, concerne les trois derniers quarts du XVIe siècle et presque tout le 17e. Elle apparaît bien comme un autre bloc de données, résultat de couches superposées, par les soins, sans doute, des aînés des générations successives ».

« Les parties 1 et 2 réunies forment, comme il est dit au début du manuscrit, un ‘extraict d’un vieu livre’, copie faite à la fin du XVIIe siècle ».

« Enfin, la suite est constituée d’une série d’additions au primitif ‘vieu livre’ et a été rédigée au fur et à mesure des naissances, mariages, ou décès des Séjournet et de leurs alliés. Les éléments de cette troisième partie, dont le plus récent est de 1731 ».

Et Léo Verriest de se poser la question : « Quelle est la valeur documentaire de notre livre de raison ? D’une manière générale, j’estime qu’on peut la considérer comme très sérieuse, non seulement parce que des documents authentiques encore existants confirment bien des données du manuscrit, mais aussi parce qu’un indice précieux de l’exactitude des notes recueillies se découvre par le contrôle des éléments chronologiques (nombreux) où figurent à la fois, à côté des millésimes, les jours de la semaine, la date du mois, ou encore la date d’une fête religieuse. Ce contrôle m’a montré, en effet, que tous ces éléments sont rigoureusemerut exacts, sauf dans deux cas que voici : le 2e enfant de Joachim serait, d’après le manuscrit, né le mercredi 7 juin 1482, alors que le 7 fut un vendredi ; et le 12e enfant du même est dit avoir été baptisé le dimanche 17 septembre 1495, alors que cette date tomba un jeudi. Or, on peut admettre qu’il s’agit là de deux erreurs du transcripteur moderne du ‘vieu livre’, lequel, d’une part, aurait écrit mercredy au lieu de vendredy, et d’autre part aurait dû écrire XIII septembre au lieu de XVII ; confusion facile. Il est à remarquer, pour le surplus, que si le livre de raison est celui de gens qui étaient fiers de leur rang aristocratique, ses auteurs n’ont pas cherché à forcer la vérité en faisant état, à tout propos, de titres nobiliaires ou honorifiques (…). De même le livre n’a point caché que la mère de Jeanne de Montigny, épouse de Joachim susdit, était Isabelle bâtarde de Ligne ».

Léo Verriest fait « deux constatations d’intérêt général démographique et social » :

1) Jean I Séjournet, chef de la lignée, eut 8 enfants. Son fils, Jean II, en eut 15. Son petit-fils, Jacques, en procréa 16, et de même le fils (Joachim) de ce dernier. Dans chaque ménage, une seule mère mit au monde ces multiples enfants.

2) Mais par ailleurs, on constate que des 15 enfants de Jean II dix moururent jeunes, soit deux entre 8 1/2 et 10 ans, et tous les autres à moins de 3 ans ; cinq des dix enfants défunts n’atteignirent pas 6 mois. De même Jacques (III) perdit 10 de ses 16 enfants, le plus privilégié n’ayant atteint que l’âge de 9 ans, tandis que cinq (au moins) n’atteignirent pas 8 mois. Quant à Joachim (IV), neuf de ses 16 enfants moururent en bas âge : un à 10 ans, un à 11, les 7 autres à moins de 2 1/2 ans. Constatations effarantes, alors qu’il s’agit de familles ayant vécu dans l’aisance ! »

« De portée générale aussi est la constatation que révèle le manuscrit. (à côté de, multiples documents historiques) des rapports constants, familiaux, d’intérêts et d’affaires, qui unissaient les gens d’Ath et de la région, à ceux des autres villes du Hainaut ancien, et particulièrement de Valenciennes ; ainsi un enfant de Jean II, mort à 3 ans, est inhumé en cette ville, où sans doute ce Jean avait été prendre à femme Marguerite, fille de « seigneur Jean Parti ». Jacques, petit-fils du même Jean, meurt à Valenciennes, et là la 14e enfant de Jean va épouser Nicaise Causin. Jacques Séjournet (III) épouse la Valenciennoise Isabelle Saumon : leur 3e et leur 5e enfant meurent aux rives de l’Escaut, et tandis que les 8 premiers enfants de ce ménage naissent à Bétissart, les suivants (du 9e, né le 14 mai 1457, au 15e) voient le jour à Valenciennes, où Jacques se fit recevoir bourgeois à Pâques 1458 et où d’ailleurs il mourut vers la Noël 1487. Ajoutons encore qu’en 1495, un bourgeois de la même ville fut parrain d’un enfant de Joachim ».

« Que la famille Séjournet ait occupé un rang notable dans l’aristocratie du XVe siècle et de plus tard, les preuves en abondent dans le livre de raison. Ci une série d’exemples, parmi les plus anciens, qui attestent de belles alliances et de hautes relations :

– Une fille de Jean (I) épouse un de Hembise, qualifié écuyer ;
– L’Abbesse de Ghislenghien est marraine d’un enfant de Jean (II) ;
– L’Abbé de Liessies tient sur les fonts un autre enfant du même ;
– Sire Jean le Clerc, curé d’Ath, un autre encore ;
– une fille du même épouse un bâtard de la Hamaide : elle habita Condé où sa dépouille mortelle fut déposée en la chapelle familiale des Hamaide ;
– le châtelain d’Ath, Jean de Trazegnies, est parrain, en 1479, du premier enfant de Joachim (IV), et
– !a femme du châtelain Robert de Melun, vicomtesse de Furnes, est marraine, en 1491, du 9e enfant du même ;
– quant aux 7e, 8e, 11e, 12e, 13e et 16e enfants, ils sont tenus sur les fonts respectivement par Martin de Germés (importante famille Athoise), par le chevalier Jean de Harchies, par la fille du Sire de Ladeuze, épouse d’un Saint-Genois, par Messire Pierre de Marsigny, curé d’Ath, par Dom Compère, prévôt de Liessies et par Nicolas d’Assonleville, receveur général du Comté de Hainaut ».

« Des Séjournet du moyen-âge, il apparaît bien d’ailleurs que c’est Joachim qui fut le plus huppé et le plus décoratif », y ajoute encore l’historien.

« Pour le moment, demandons-nous où sa famille plongeait ses origines. Il est certain qu’elle était vraiment du terroir, car, ce n’est pas par hasard qu’à la fin du XIIIe siècle on trouve (1) la mention à Irchonwelz, d’une femme, Agniès li Sonjournée, qui était, avec ses trois fils et ses deux filles, sainteur (2) de N. D. de Ghislenghien. Et c’est encore dans le même village, véritablement coincé dans Ath, qu’on rencontre, en 1363-1364, le nom d’un Colart Séjournet, bourgeois forain d’Ath (3). Par contre, était Athois le Gérard Séjournet, qui, en 1384, poursuit le paiement d’une créance de 10 francs français, puis en 1388, le paiement de 50 francs. (4)

Rappelons ici que nous n’avons pu, jusqu’à présent, dépouiller méthodiquement qu’une partie des importantes archives Athoises de la 2° moitié du XIVe siècle : ainsi, abordant maintenant ce qui concerne le chef de la lignée du ‘livre de raison’, Jean I, ne disposerons-nous, que d’éléments incomplets. Ces éléments n’apportent malheureusement aucun renseignement sur ce qui pourrait expliquer le rang social élevé auquel ce Jean a atteint dès avant la fin du siècle. Lui-même, ou l’un de ses ascendants, a-t-il rempli une fonction publique qui pût susciter un haussement social, comme ce fut le cas pour d’autres personnages ? (5) On ne sait. Ou bien, serait-ce que ces ascendants, ou l’un d’eux, eussent ou eût exercé une profession rémunératrice ? On inoline à croire à l’affirmative et à penser que les anilles (fers de moulin) qui constituent les armoiries des Séjournet rappellent des ancêtres meuniers. Meuniers peut-être de ces importants moulins d’Ath ‘à deux tournants’, qui, mûs par un des bras de la Dendre, alimentaient le ‘castrum’ et la villette depuis longtemps. (6)

En tout cas, dès le moment où je relève les premières traces de notre Jean I, il apparaît comme un personnage riche, et l’on peut même se demander s’il n’était pas quelque peu manieur d’argent : voici, en effet, une série de mentions de lui, où on le voit s’adresser à la juridiction du châtelain d’Ath pour obtenir paiement de créances, qui, fait notable, sont presque toutes d’un import fort élevé par comparaison avec les demandes de la plupart des autres plaignants contemporains : en 1383-4, deux individus de Crespin (7) lui doivent 180 francs français, et un autre, de Stambruges, 5 francs ; en 1384-85, c’est 246 francs que lui doit Jean d’Aubecies ; en 1385-86, 3 livres sont réclamées à Jean le Maçon, de Tongre ; enfin, (1387) J. le Roy, de Robertsart, est poursuivi en paiement de 14 livres 13 sous.

A cette époque, toutefois, Jean I n’était pas, juridiquement, bourgeois d’Ath (7), mais on peut croire qu’il ne tarda pas à le devenir, car il fut bientôt échevin de la ville.

On sait, en tout cas, qu’au début de 1389, il était déjà marié à ‘Demoiselle Marghe de le Rosière’, cousine de Mahieu de le Rosière (8).

A Ath, comme partout, il fallait, pour pouvoir devenir échevin, être possessionné sur le territoire du lieu, et l’on sait, au surplus, que dans nos villes du moyen-âge, les échevinages furent partout et restèrent longtemps de caractère aristocratique, voire ploutocratique : on peut donc, a priori, penser que les échevins d’Ath, du 14e et du 15e sicèle à tout le moins, étaient presque tous, sinon tous, recrutés parmi les gens du ‘haut du pavé’. Jean I Séjournet fut donc échevin et nous le trouvons comme tel, pour ce qui concerne la ville-seigneurie d’Ath proprement dite, depuis 1392 (9) jusqu’au moins le 23 novembre 1412. Cette vïlle-seigneurie d’Ath appartenait au Comte de Hainaut, mais il y avait aussi, parmi le vaste terroir d’Ath, – en sa partie rurale surtout (10) – d’autres seigneuries où notre Jean I fut également échevin, savoir la seigneurie du Vieux-Ath appartenant à l’abbaye de Liessies (mentions de 1400 à 1412 (29 mai) (11), la seigneurie de l’abbaye de S. Martin de Tournai à Brantignies, et celle die l’abbaye d’Ath au même lieu-dit (mentions du 29 janvier 1398 au 15 décembre 1412). Ajoutons qu’un chirographe de Mainvault (aujourd’hui détruit), du 4 juillet 1417, citait Jean I comme échevin du lieu (12). Il y était donc également possessionné, et il y a lieu de croire qu’il avait des biens dans de multiples villages voisins d’Ath, Nous sommes donc en présence d’un riche propriétaire foncier, ce que voici amplement confirmé et précisé par les données provenant des chirographes Athois ».


(1) Verriest, Le servage dans le comté de Hainaut, p. 449
(2) Sur les Sainteurs, v, même ouvrage, p. 171-245
(3) Verriest, La Bourgeoisie foraine à Ath, p. 71
(4) Comptes du Châtelain d’Ath, de 1384-85, et de 1358
(5) Léo Verriest pense notamment à ce Maillet Boudant, qui fonda, en 1416, le Béguinage d’Ath (ensuite couvent de Nazareth) et qui fut, tout simplement un des ‘sergents’ du châtelain. Ce n’est pas seulement aux aux temps modernes ou contemporains que les offices publics pouvaient ou peuvent mener loin leur homme
(6) Voir Verriest, Ath au 13e siècle, page 12
(7) Compte des Domaines d’Ath de 1387-1388. Ce compte montre qu’alors 285 bourgeois payèrent leur bourgeoisie, – Sur la qualité de Bourgeois, voir Verriest, Ath au 13e siècle
(8) Ce renseignement est extrait d’une des nombreuses fiches provenant de feu M. Jules Dewert, qui fut Archiviste de la ville d’Ath, fiches qui, fruit de multiples annotations, nous ont obligeamment été remises par le fils de l’ancien Président du Cercle Archéologique d’Ath. Je suis toutefois contraint de signaler ici que la fiche Séjournet, et un certain, nombre d’autres du 14e siècle, se réfèrent à des ‘chirographes’ qui n’existent plus parmi les archives de la ville d’Ath. Et il ne se peut agir de ‘chirographes’ du dépôt (aujourd’hui en grande partie détruit) des Archives de l’État à Mons, car une lettre du conservateur Poncelet, du 18 février 1909, précise qu’i1 n’existait à qu’un seul acte (1382) antérieur à 1390. La disparition des plus anciens chirographes Athois est une grave perte, qui ne peut sans doute s’expliquer que par le pillage et l’occupation de la guerre de 1914-1918. Force n’est bien, en tout cas, de signaler cette perte, ne fût-ce que pour dégager ma propre responsabilité d’Archiviste de la ville. Je dois ajouter qu’il y a encore, au dépôt des Archives, un cumulus de documents divers, à classer ; mais il ne semble pas qu’on puisse espérer y retrouver des documents qui méritaient un soigneux classement et un particulier souci de bonne conservation
(9) Il faut préciser ici qu’en ce qui concerne les années 1392 à 1397, je dois me contenter de me référer à Bertrand, Histoire d’Ath, où l’on trouve (in fine), des listes d’ ‘échevins d’Ath’ qui ont malheureusement, été établies sans soins et sans références, et qui, par conséquent, ne valent que sous toutes réserves
(10) J’ai sur le métier une étude qui situera., autant que possible, les quelques dix seigneuries différentes assises sur le sol Athois, et qui apportera des données précieuses quant à l’histoire féodale de la ville
(11) En ce qui concerne un chirographe du 15 décembre 1407, je me réfère à Prudhomme, Les Échevins dans le Hainaut, p. 351
(12) Renseignement extrait d’une lettre de l’Archiviste de 1Etat à Mons, M, Poncelet, du 21 avril 1916

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